« L’homme de l’ombre ». C’est comme ça que je me décris, puisqu’en général peu de gens ont conscience de notre rôle, de ce que l’on apporte. Et comme ça brise mon petit cœur, j’ai décidé de vous faire un article sur le métier de graphiste, notamment son rôle dans la chaîne de création d’un livre.
Pour beaucoup de personnes, à commencer par mes parents, mon métier consiste, et je cite sans déformation, à « juste » (oui juste, c’est important d’insister là-dessus) faire de la mise en page. Ouch. Ça fait mal. Et c’est pas faute d’avoir tenté de leur expliquer, exemples à l’appui. Ils sont également persuadés que mon travail c’est de dessiner. Toute la journée. Un peu comme à la maternelle. Re-ouch !
Alors « juste » pour être clair, si il m’arrive en effet d’utiliser mes talents de dessin dans mon travail, c’est un simple avantage, parque j’ai cette capacité, et qu’elle peut m’être utile. Mais ce n’est pas requis chez un graphiste ! C’est juste un petit plus. C’est un peu comme si votre plombier était doué en danse du ventre et vous en faisait profiter pendant ses interventions : c’est un petit bonus pour tout le monde ! (ne me remercier pas pour l’image mentale, c’est cadeau).
Non, le rôle d’un graphiste est un poil plus complexe que ça, et si il y a en effet un aspect manuel et artisanal dans notre métier, il y a également beaucoup de réflexion derrière nos productions, comme chez tous designers. Parce que oui, notre travail, s’il est appliqué à la production d’images, peut être également rapproché de celui de designer d’objet, d’espace, …
Le designer :
Avant de décrire en détail mon travail dans le cadre de l’édition, je me suis dit qu’un petit exemple concret serait utile pour vous aider à comprendre mon métier. Prenons donc un designer d’objet qui doit designer un objet très simple et courant, à première vue : une chaise.
Déjà qu’est-ce qu’une chaise ? Sous sa forme la plus basique, c’est un tabouret : une surface plane horizontale fixée sur trois pieds au minimum, histoire de tenir debout. Tout le monde peut fabriquer une chaise me direz-vous, même mal, mais le designer doit aller plus loin : il doit d’une part penser et améliorer l’objet pour qu’il réponde au mieux à l’usage auquel il sera destiné, mais aussi à son futur utilisateur et à ses besoins, ses attentes, … et d’autre part il doit créer un objet esthétique qui se démarquera de ses semblables pour susciter l’acte d’achat (whoua, un terme technique !). Et tous ces petits plus, cette valeur ajoutée, vont définir entre autres le prix du produit final.
Conception physique de l’objet :
Notre designer doit donc améliorer son tabouret : déjà il peut commencer par lui ajouter un pied, car c’est beaucoup plus stable sur quatre. Puis un dossier, parce qu’un appui pour reposer son dos ça peut être bien aussi, et tant qu’on y est pourquoi pas des accoudoirs ? Première problématique, quelle hauteur pour les pieds de la chaise ? Celle des accoudoirs ? Du dossier ? Et la profondeur de l’assise ?
Une chaise trop haute, et il vous faudra l’escalader (ça m’arrive souvent aux comptoirs de bar, j’ai intérêt à m’équiper en mousquetons), trop petite et ce sera vraiment inconfortable pour un adulte. Et bien pour ça, il existe des études réalisées auprès des populations pour déterminer la taille moyenne, lorsqu’ils sont assis, à quelle hauteur se trouvent leurs coudes, … si vous pensiez que les dimensions d’une chaise étaient dues au hasard, ce n’est pas le cas ! Reste à choisir si les accoudoirs seront horizontaux, inclinés vers l’avant, l’arrière, si le dossier ou l’assise doivent être plats ou bombés, … Et en quelle matière ? Du bois ? du métal ? du plastique ? Quelque chose de chaud ou froid au contact ? Faut-il privilégier un matériau économique, pour rendre la chaise la plus abordable possible, ou plus « noble » pour créer un produit haut de gamme ?
Tant de questions…
Conception esthétique de l’objet :
Après avoir défini les différents paramètres physiques de sa chaise, il faut maintenant la penser en termes esthétiques, si on veut qu’elle se démarque, qu’elle soit « desiiiignnn », moderne, haut-de-gamme, ou au contraire standard… Est-ce qu’on conserve aussi sa forme usuelle, ou est-ce qu’on rompt totalement avec, pour créer la chaise de l’espace-du-futur-t’as-vu-comment-elle-est-trop-originale ? Et quelle couleur ? Des motifs ?
Le graphiste dans l’édition :
Maintenant que l’on a vu cet exemple, je vais pourvoir vous décrire mes étapes de travail, en tout cas la façon dont ça se passe chez les éditions Lumen.
Présentation du titre :
Mon travail commence toujours par une réunion entre l’équipe éditoriale et le graphiste (c’est moi !), où l’on me présente le roman sur lequel je vais devoir travailler : l’histoire, les personnages, l’univers, mais également d’autres informations utiles pour mon travail comme l’âge et le public ciblé (masculin, féminin, mixte, jeunesse, jeune-adulte, adulte,…) bref tout ce qui va me servir à créer le concept de couverture. Et également ce que l’on veut que je mette en avant : on peut par exemple me demander de faire ressortir le côté dystopique d’une couverture parce que l’illustration de couverture ne le montre pas spécialement.
L’illustration de couverture est d’ailleurs également abordée dans cette réunion : lorsque c’est la toute première édition d’un roman la question ne se pose pas, mais dans le cas d’achat de droit de titres étrangers, il faut décider si l’on reprend la couverture originale (quand elle est efficace) ou s’il faut en créer une nouvelle. Et dans ces cas-là soit on fait appel à une personne en externe, soit c’est à moi de proposer quelque chose.
On aborde également les aspérités de fabrication qui rendraient bien (pelliculage, verni sélectif, fer à chaud,…) mais rien de définitif à ce niveau-là.
Début du travail :
La réunion terminée, c’est à mon tour de commencer. Personnellement j’aime bien débuter par la conception du logo. Dans un premier temps, je pars à la recherche d’une ou plusieurs polices d’écriture (ou font ou typo) qui collent bien avec l’univers et le public ciblé. C’est très important de le réussir si on veut toucher et attirer les personnes à qui il est destiné. Je retouche ensuite les lettres, je les mélange, et parfois je les dessine moi-même. Ensuite je dois réfléchir à la couleur, la taille, m’assurer qu’il ressortira bien et qu’il sera facilement lisible.
Je m’attaque ensuite à l’illustration de couverture : il arrive que je doive redessiner certaines parties, nettoyer un peu l’image (quand elle a été mal détourée par le graphiste originel, booouuh !), modifier un peu les couleurs si nécessaire, d’une part pour rendre l’image plus attirante, mais surtout pour m’assurer quelle ressortira bien au moment de l’impression (pas trop sombre, contrastée,…).
Je peux ensuite m’atteler à la partie préférée de mes parents : la mise en page ! La couverture est montée sur indesign : on place l’illustration et le logo, on s’assure que les deux fonctionnent bien ensembles, qu’ils sont bien visibles. Je choisis aussi le cadrage du visuel : ce n’est pas parce que j’ai une grande image que toutes ses parties sont intéressantes à montrer. Parfois je dois zoomer pour me focaliser sur les zones les plus importantes en terme de narration (parce que oui, l’illustration raconte quelque chose sur le livre), ou pour éviter d’avoir trop de zones vides en C1.
La plupart du temps je n’ai une illustration que pour la première de couverture et il me faut donc habiller l’espace restant, mais parfois l’illustration courre sur toute la couverture (C1 + Dos + C4). Et je dois aussi respecter la charte graphique, qui stipule entre autre où se trouvent les éléments canoniques (logos de l’éditeur, nom de l’auteur, l’accroche, le résumé,…) et qui permet de créer une identité visuelle commune entre chaque tome publié, pour identifier au premier coup d’œil la maison d’édition. Souvent la charte suffit, mais parfois je dois passer outre, ou créer des éléments de déco pour habiller le dos ou la C4, notamment dans le cadre de titres particuliers. Je pense entre autres au Secret de l’Inventeur, uchronie steampunk, pour laquelle j’ai dû créer un fond et un motif collant à l’esprit du titre (je n’avais à disposition que l’illustration de cœur mécanique).
Il reste à intégrer le résumé en C4, précédé de l’accroche marketing du roman. Si la font utilisée est la plupart du temps la même (prévue dans la charte), je ressens parfois le besoin de la changer pour là encore la faire correspondre à l’univers du titre.
Validation, finition et test :
Ce travail de maquette terminé, il me faut la faire relire pour assurer la correction orthographique, et la faire valider par l’éditrice française d’une part, mais aussi par l’auteur et l’éditeur d’origine (bien que ce soit plus à titre informatif qu’autre chose, exceptions mises à part), préparer le fichier pour l’imprimeur. On fait également imprimer un GMG (impression test qui répond à certaines normes de réglage) pour s’assurer du rendu colorimétrique de l’impression finale.
Et le reste :
En dehors de mon travail sur les couvertures, j’ai également en charge la production de supports de communication ou marketing : habillages/bannières web, pubs presse, PLV en point de vente (toutes ces colonnes et stop-piles que vous retrouvez en librairie), les goodies (type marque-pages, badges,…), les murs des stands lors de salons, et il m’arrive parfois de devoir aussi intervenir sur la maquette intérieure du livre (habituellement traitée en externe).
Avec tout ça, vous avez pu voir qu’il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton ou de « juste » mettre en page des éléments, mais que le travail d’un graphiste est divisé en deux axes principaux : un travail d’analyse et de réflexion pour définir l’identité et les caractéristiques de la couverture, et un travail sur son esthétique.
Bien sûr cela requière de la part du designer d’avoir une bonne maîtrise des logiciels utilisés, si il veut réussir à créer ce qu’il a en tête (et ça ne vient pas tout seul), mais également d’être curieux et d’observer ce qu’il se fait ailleurs. Pour pouvoir au mieux traduire l’ambiance et l’essence d’un livre, il faut connaître les codes esthétiques propres à chaque univers (fantasy, science-fiction, thriller, dystopis,…) et au public visé (comment traduire visuellement le genre et l’âge du public), et être capable de jouer avec pour créer une couverture originale qui se démarquera des autres publications dans les rayonnages des librairies !
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